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Deux ans plus tard

Je voulais écrire à nouveau, mais j’attendais LA bonne idée, LE thème, quelque chose qui se démarquerait, ou au minimum une bonne accroche qui donnerait envie de lire.


Mais tout comme avec les émotions délicates il n'y a pas de recette miracle, ces lignes seront nuancées, parfois confuses, reflétant mon monde intérieur. Ecrire me permet depuis toujours de mettre des mots sur ce que je ressens, et si aujourd'hui vous souhaitez partager ce voyage d’introspection, bienvenue. Bienvenue dans l’ouragan que je vis, où je tente de trouver le rayon de soleil qui percerait à travers des nuages d’émotions.



Depuis un an je vis sur le fil. La première année passé sous le choc, la deuxième dans l'incompréhension la plus totale.


L’espace mental est fragile, délicat. Comme un terrain après un feu de fôret, ou un batiment après un tremblement de terre. On fait attention à chaque pas intérieur, sinon ça s’effondre. Récemment j’ai traversé les forêts du Pyla ravagées par les incendies de 2022 et j’ai compris. J’ai compris les arbres, la dune, l’écorce brulée. Je me suis surprise à penser « c’est exactement comme ça que je me sens ». Dévastée.


Le quotidien est laborieux, faire la conversation est compliqué. J’ai peu d’énergie. Mon niveau de stress est à 9/10 tout le temps et la moindre contrariétée se transforme en “la goutte d’eau qui fait déborder le vase”.


Parfois je continue à me leurrer en me disant « ailleurs ça sera mieux, quand je serai à tel endroit alors j’aurai la motivation de faire telle chose » mais tout est faux. Mes émotions sont en moi. Mes traumatismes sont dans mon corps. Je m’emmène partout et je ne peux pas me défaire de ce que je ressens.


M'accompagnent ma compagne l’angoisse et mon nouveau pote le contrôle. Déjà que j’étais perfectionniste, là je ne veux plus rien laisser au hasard. Non seulement pour moi, mais aussi pour les autres. Car prédire l’avenir me protégera peut-être d’un futur choc ? Je sais que la réponse est non, mais le réflexe est plus fort. Et je voudrais que tout soit comme je le souhaite, que se déroule comme prévu, car l’incertitude est le pire des maux.


Alors ça me coûte dans mes relations. Mon mental traumatisé passe tout au peigne fin, afin de détecter la moindre faille, le moindre non-dit. J'hyper-analyse et je suis constamment en hyper-vigilance.


Car si j’avais su.


La perte d’un frère ou d’une soeur n’est relayée nulle part. Je suis allée allée dans une des plus grandes librairies de Bordeaux, je leur ai demandé les livres sur le deuil. Le rayon était en bas, au niveau du sol, et ne faisait pas plus de 50 centimètres de largeur. Il y avait un seul et unique livre sur le deuil d’un frère ou d’une sœur. Un livre sur une libraire entière.


Pourquoi la mort est si taboue ?

Pourquoi on ne s’y prépare pas ?

Une fois qu’on plonge dans le sujet, on le démystifie.

On peut mieux accompagner ceux qui souffrent.


On peut commencer à comprendre que deux ans après, le choc est retombé, mais l’acceptation est loin. Que c’est putain de long. Qu’on se traine. Qu’on a peur que la joie ne revienne jamais. Qu’on ne veut pas importuner mais qu’on est anxieux tous les jours. Qu’on aimerait que tout le monde nous fasse toujours un gros calin, sans rien dire, juste en sachant.


Mais “c’est marrant parce que quand on parle avec toi on a pas du tout cette sensation de stress ! tu es si calme et ancrée” – t’inquiète poulet j’ai un master en dissociation. J’ai appris que mes émotions gênaient les autres et que je devais gérer les leurs alors je passe toujours au second plan. Ne rien montrer pour que personne ne creuse est une stratégie redoutable mais épuisante.


Quand j'arrive à faire semblant que tout va bien, à ne pas me confronter, c'est mon corps qui me rappelle à l'ordre. Pendant ma formation de yoga, on s'est retrouvés à tenir la position de la planche trois minutes ... et j'ai fondu en larmes. Ma résistance a cédé, ma force m'a lâché, et un torrent de tristesse a déferlé sur mon tapis. Je ne peux pas être forte tout le temps, et ça, je l'apprend doucement. Accepter d'être humain est le premier pas.


Depuis un an, je vis sans frère, ma meilleure amie a coupé les ponts, mon amour de jeunesse a disparu de la circulation, et je me retouve à pleurer tous ces souvenirs, tout cet amour qui n'a nulle part où aller. Le deuil s'étend bien au delà de la perte d'un être cher. Le changement profond et indélibile du quotidien, du rôle que l'on avait acquis depuis des années, de la place qu'on s'était fait dans la vie de l'autre et de celle qu'il avait prit dans la nôtre, le changement de direction, la perte de repère : c'est tout ça, le deuil. Pas uniquement l'événement en soi.


Là est la complexité de l’humain, la vérité sur vieillir : on ne devient pas qui on est sans vivre des expériences complexes, mais on ne peut pas laisser ces expériences nous définir entièrement. Car il y a un an, au pied du mur, sans maison, sans travail et clairement sans argent, j’ai eu le choix. Le choix de me raconter l’histoire que je veux. De laisser la mort de mon frère m’emmener sur la route la plus sombre de mon existence, ou d’en faire un catalyseur pour avancer enfin sur ma voie. Lorsqu'on ne sait plus très bien qui on est, on peut choisir de reconstruire les pièces une à une.


Heureusement, peu à peu, on y arrive.

Et je recolle en tremblotant mes projets avec mes rêves à la glue des amitiés et de l'espoir.


Depuis un an, j'ai trouvé ma voix. Ma voie. J'ai trouvé un travail où je fais ce que j'aime, une ville où je me sens à la maison, une relation qui me cajôle, j'ai renoué avec des amies d'enfance, et j'ai réalisé que l'amour ne part jamais. Peu importe la distance, les aléas, quand on aime quelqu'un, on l'aime pour toujours. Et les moments que l'on vit avec nos proches, eux, ne nous quittent jamais.


Et puis ce mois-ci, j’ai eu envie de prévoir l’avenir à nouveau. Une envie, pas une fuite. De reprendre mon appareil photo et d’explorer une nouvelle ville. De parler une autre langue et d’atterir dans un café où je ne comprend pas la carte.


J'ai eu envie de rire aussi. Beaucoup. Et surtout pour rien.


Et puis ce mois-ci, les dates ne veulent plus rien dire. Pour la première fois depuis deux ans, il n’y a pas de compte à rebours funeste jusqu’au 14. C’est juste deux chiffres qui suivent le jour, et l'algèbre de la mort se fait plus léger. Il n'y a plus autant d'attentes, d'injonctions, d'objectifs à atteindre dans "ce travail de deuil". Un taf j'en ai un, ne m'en rajoutez pas un de plus, merci.


Et ce moi-ci, je l’apprivoise peu à peu. Je ne peux plus faire les mêmes choses qu’avant et c’est terrible de se l’admettre, mais je l’apprend. Parfois mon glouton intérieur revient. Il me dit de bouger - de crier - que rien n’est assez bien, et je le regarde faire des caprices en sachant qu’au fond, je suis juste triste. Et en vie.


Alors j'enlace toutes ces Clémence, celle dévastée par le passée, celle excitée par l'avenir, celle épanouie à donner des cours de yoga, celle terrifiée à l'idée de souffrir à nouveau, et je leur insufle tout mon réconfort et mon courage. Et bientôt, je suis sûre, la joie immense de vivre pleinement de nouveau. Une joie brillante, expansive, quelque chose de si pur qu'elle pourrait faire peur.


C'est comme si dans cet intérieur de cendre, figé par mes émotions et mon passé, de petites pousses vertes se frayaient un chemin, doucement, laborieusement. Des petits bourgeons d’idées. Des moments plus verts.


En attendant qu’ils éclosent,


Avec amour

Clémence

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