A mon frère.
Ceci n’est pas une injonction à la pitié. Ceci est un cœur ouvert naviguant en terre inconnue, essayant de se frayer un chemin dans cette nouvelle réalité qu’il n’a jamais souhaité.
Prenez cet article, ces notes plutôt, comme un voyage de découverte à travers les contrées du deuil. Une exploration, une traversée de ces recoins méconnus des émotions.
On y passera tous (désolée pour le reality-check, les gens que vous aimez ne sont pas immortels. dites-leur d’ailleurs, que vous les aimez. tout de suite), alors si ça peut vous permettre de comprendre ou d’imaginer un peu mieux à quoi ça ressemble, une âme en deuil, c’est toujours ça de pris.
Sinon, vous aurez au moins découvert mes gribouillages dignes d’un enfant de CM1.
Et beaucoup d’amour, toujours
Clem
J’ai ta peluche serrée fort contre mon cœur. Ton petit dalmatien, Dalmachou comme on l’avait baptisé, et j’ai l’impression qu’il me regarde. Qu’il cherche à me parler. Bien sûr que c’est tout dans ma tête, mais tu sais à force de chercher du réconfort dans les signes on finit par en voir partout.
Je ne savais pas quoi faire de toutes ces émotions.
Alors j’ai décidé de les écrire.
Peu importe dans quel ordre, à quel moment, pour qui, mais il faut que ça sorte.
Ici maman souffle toute la journée. J’ai vu papa pleurer plus de fois en quelques mois qu’en toute une vie. Mes sœurs survivent mais on ne sait pas trop bien où est le cap. Quelle direction prendre. Un peu trop balayés par les vents, nos navires frôlent le naufrage à la moindre brise.
Même Kitty est revenue dans mon lit.
Je tape vite car je ne sais pas quoi faire. Une triste fureur s’empare souvent de moi puis repart en claquant la porte, me laissant épuisée, déroutée. Vidée. Je ne sais pas quoi faire.
Alors oui, il n’y a rien à faire. Accepter, traverser, patati, patata.
Mais c’est tellement plus facile à dire qu’à faire.
Tout m’énerve. Du wifi qui rame, à la queue chez la Fnac, en passant par « quelle couleur pour le cercueil ? ». Tu sais on s’est vraiment posé des questions qu’on aurait jamais cru se poser. « Quelle chanson pour l’envoi du corps, un truc joyeux ? », « On met le nom en majuscule sur le faire-part de décès ? » et puis « Comment t’as dormi cette nuit ? ». On répond de façon automatique, depuis cette petite partie du cerveau presque robotisée, pour se détacher de la douleur. Surtout ne pas creuser trop profond, ne pas remuer l’horreur.
Mais on fait attention, on tient. Ensemble, pour soi-même, pour les autres. Parfois on s’épie presque, en silence, juste pour savoir si on peut craquer ou si on doit ravaler nos larmes avec notre biscotte pour pas faire flancher le château de carte sous nos pieds. On tient. Entre équilibristes et mentalistes, nos rôles ont bien changé depuis ton départ.
Et Noël ? Et les anniversaires ?
Et puis est-ce que j’ai le droit d’être heureuse à nouveau ?
Et puis d’abord qu’est-ce que je fais maintenant que toute mon énergie est consacrée à ne pas sombrer au lieu de vivre ? Qu’est-ce que je fais maintenant que je n’ai plus envie de rien ?
Et qu’est-ce que je fais pour les potes qui comprennent pas ? Pour moi qui comprend pas mes potes ?
Ces trois dernières semaines j’ai eu l’impression d’emporter la pluie partout avec moi ; en France, en Espagne, au Maroc, où que j’allais les gens me disaient « ça fait des mois qu’on a pas eu un orage pareil ». Mais peut être que c’est ma tristesse qui me suit partout. Debout sur le port d’Imsouane je ne sais plus si ce sont des larmes ou des gouttes salées qui coulent sur mes joues.
On est mercredi 28 décembre et Noël est passé.
Je suis triste. Juste vraiment, profondément, irrémédiablement triste. Je ne peux même pas fumer car je me suis mis en tête d’arrêter – mais je t’avoue que lorsqu’on est confrontés à la mort de si près on se demande pourquoi se préoccuper d’un l’avenir si lointain.
Tout perds de son sens ; peu de choses ont de la valeur. « Je m’en fous » deviens un mantra quotidien dans ma tête. Qu’ils s’agissent de conversations (autrefois paraissant intéressantes), de choix à faire (autrefois jugés cruciaux) ou de projets (autrefois imprégnés d’excitation), mon intérêt décline et semble ne jamais remonter.
La tristesse est un nuage gris, un manteau dont se pare le ciel de ma vie, un brouillard qui tapisse mon plafond intérieur et malgré ma volonté de voir le soleil, ses rayons ne semblent jamais filtrer à travers.
C’est comme une vieille colocataire pourrie, la tristesse. Même les jours où je rentre en mon chez-moi intérieur toute contente, grisée par une rencontre spontanée ou un projet soudainement ressuscité, je la trouve là, sur le canapé. Elle est tout affalée, ma tristesse, et d’un coup d’un seul elle sape tout ma gaieté et me force à poser mon cul à côté du sien. Elle est là, et ne me lâchera pas tant que je n’aurai pas écouté ce qu’elle a à me dire. Peu importe la vitesse à laquelle j’essaye de refermer la porte pour de ne pas la croiser, elle est plus collante qu’un chat affamée, plus entêtante qu’une odeur d’humidité. D’ailleurs, quand par chance j’arrive à l’esquiver quelques jours, une migraine finit toujours par me ramener à elle, à mes émotions, à mon cul sur ce canapé.
Aujourd’hui je sais que pour aller bien, il faut que je pleure tous les jours.
Mais la coloc que je déteste le plus c’est la colère. Elle, elle déboule sans prévenir, arrache la porte et mets le feu à mon appartement alors que j’essayais tranquillement d’arroser les plantes. Elle a déboulé pendant la messe de Noël. On était là avec Clotilde, à chanter des chants qu’on connaît depuis des années et pourtant, c’était la première fois que je les chantais de cette façon. La colère a déboulé avec toutes ses potes - la jalousie, la trahison, l’injustice - en voyant ces familles heureuses, rassemblées, unies pour fêter l’arrivée du Christ. Tous ces gens ne se rendant pas compte de la chance qu’ils ont. Juste d’être là, de pouvoir prendre dans les bras ceux qu’ils aiment, de leur dire qu’ils les aiment. J’aurai voulu leur hurler de se réveiller, leur dire que je les déteste d’être aussi chanceux, que je meurs de jalousie devant leur insouciance. J’avais envie de tout casser juste pour les choquer, juste pour un instant les sortir de cet état humain où l’on prend les choses pour acquises, juste pour leur faire prendre conscience que tout peut basculer, et que moi, j’ai jamais demandé à ce que ça bascule.
Moi je n’ai jamais demandé à ce que ça change.
Ca y’est c’est la fin de l’année. Et je n’ai pas pu fêter le nouvel an. Je n’ai pas eu la force.
Je me sens en décalé. Je ne sais plus comment interagir avec les autres. Je ne sais plus comment sourire quand tout à l’intérieur de moi ressemble à un immeuble en ruine, un feu de fôret, la louisiane après katrina.
Ma réalité n’est plus votre réalité - celle du commun des mortels.
De l’extérieur on s’y tromperait, on pourrait passer à côté des signes visibles de tristesse, on pourrait ne pas voir. Parce que je ne veux pas le montrer. Parfois je ne veux pas de vos questions. Un simple « comment ça va » remue une tempête d’émotions en moi.
Et puis je réponds quoi à ceux qui savent pas ? A ceux qui savent et qui espèrent que ça va mieux ? A ceux qui ne sont pas prêts à entendre la réponse ? A ceux qui me disent « t’as l’air fatiguée » et que je gifflerais bien avec ma pancarte « j’ai perdu mon frère y’a 6 mois et tu peux aller te faire foutre avec ta remarque condescendante et non-constructive » ?
« Juste la vérité. » Mais elle est aussi dure à exprimer en tout vulnérabilité, qu’à recevoir sans s’inquiéter. Les relations en prennent un coup, les échanges sont moins faciles, et parfois c’est comme si les autres ne pouvaient jamais dire le mot juste. L’autre ne peut jamais avoir la « bonne réaction ».
Tout le monde a tout faux, tout le temps. Voilà c’est simple.
Parce que personne ne comprend.
Parce que je ne souhaite jamais à personne de comprendre.
Parce que rien ne panse la plaie.
Parce que je sais qu’au fond de moi, je ne suis qu’un enfant qui espère que l’autre réagira « suffisamment bien » pour m’enlever toute la douleur, comme on donne un bisou magique, comme on colle un pansement dinosaure et en un instant, tout disparait.
Mais je ne suis plus une enfant et ce n’est pas une égraniture. Le seul remède à ce torrent d’émotions est de le laisser s’écouler. Parfois son bruit est tellement sourd que je n’entends plus que lui, et je me fait emporter. Alors heureusement qu’il y a ces appels, ces balades, ces petits cafés, ces sessions de surf où la présence d’un ami me réchauffe le cœur. Pendant un court instant ou quelques heures, le torrent se calme, mon cœur s’apaise, je suis en confiance et je sais : chacun fait de son mieux.
Chacun fait de son mieux.
Et la « bonne réaction », c’est juste d’être là.
Ce matin je me lève avec une nouvelle coloc pourrie : la peur. J’ai très peur que plus rien ne soit comme avant. Que je n’arrive plus à retrouver ma force, mon envie, mon sourire, mon excitation pour les choses toutes bêtes. J’ai juste peur.
Je sais que rien ne sera jamais comme avant.
Là est tout la dualité du cerveau en deuil : entre savoir et accepter, il y a un monde, un décalage monstrueux, et j’oscille entre les deux. Je passe de l’un à l’autre, les informations m’arrivent en deux temps, je sais, je sais, mais accepter d’être triste, c’est accepter que tu es mort.
Je sais que tout viendra en son temps. Qu’on en ressortira plus forts, mais c’est trop tôt.
Je sens déjà les leçons que je peux partager avec les autres, je vois déjà les gens que tu mets sur ma route.
Mais c’est trop tôt.
Il va falloir du temps, beaucoup de temps.
Oui, il faut beaucoup de patience et de compassion pour traverser tout ça, et pour accompagner quelqu’un qui traverse tout ça. De la présence, de l’écoute. Se dire qu’on s’aime, savoir qu’on est aimés. Car même si le deuil se vit seul, la parole est libératrice, et les éclats de rire, magiques.
Alors je serre la joie très fort contre mon cœur.
Ca ne sera pas du bonheur tout de suite
Mais serrer la joie très fort.
Sourire à s’en faire mal aux joues, parce que j’ai le droit
Hurler de douleur, parce que j’ai le droit
Danser, bouger, chanter, parce que j’ai le droit
Pleurer, parce que j’ai le droit
Dire aux autres que je les aime, parce que j’ai le droit.
Ainsi la joie me retrouve
Et je la serre très fort contre moi
Comme je le fais avec ta peluche.
No word needed just love, always ❤️